jeudi 28 février 2013

La Forêt des Selves (partie 1)



Lorsqu'il pénétra dans la bourgade des Arbusines, Tyon croisa quelques jeunes gens sur leurs montures, qui, comme lui, qui rentraient chez eux après une journée de sociétale. Il suffisait de voir leurs visages souvent ramollis par la fatigue, pour qu'il réalise quelle chance il avait d'être au Bar-raB. En atteignant le niveau de la maison d'Émeryne, où il crut voir une silhouette remuer, il enfonça sa tête dans les épaules et Hardie pressa le pas.

Comme beaucoup d'autres bourgades à Natale, les Arbusines accueillaient nombre de sociétales, qui avaient quitté leur maison familiale pour tenter l'aventure en solitaire. Et il valait mieux pour eux de faire profil bas, devant celui que l'on surnommait le Chef ( bien qu'il avait horreur de ce terme ). Il s'agissait du Premier Secrétaire du Conseil de la Bourgade des Arbusines ; il était connu pour sa sévérité ( envers le Sociétales ) ainsi que sa petite silhouette, que l'on repérait de loin, et qui pivotait souvent telle une girouette.

En remontant l'Allée des Arbuses, Tyon aperçut sa tête, décorée d'une couronne de cheveux gris, qui semblait vaciller anormalement sur ses épaules, tandis qu'il remontait les bretelles à un mauvais travailleur.

Beaucoup étaient répartis le long de l'allée, équipés de pelles et de seaux, occupés à déblayer la nappe boueuse qui avait dégouliné des arbres voisins. Et à voir leur progression, ils avaient dû commencer depuis un moment. Lorsqu'il eût dépassé le Chef, Tyon ne put s'empêcher de sourire de satisfaction. Il ne l'avait même pas remarqué.

— Vous là bas ! Oui vous, le garçon au moa ! Interpella une voix pointue et autoritaire à la fois. Attendez !

— Non Hardie, ralentis... Demanda Tyon, alors que son moa allait détaler.

Il se retourna et aperçut l'homme avancer d'un pas pressé vers lui. Malgré le fait qu'il était en plein travail, le Chef était habillé d'une façon toujours aussi stricte : il portait un pantalon de toile et une chemise à gilet fermement boutonnée jusqu'au cou. Il dévisagea Tyon avec sévérité, écarquillant ses yeux.

— Que faites vous ici, Tyon ? Questionna-il d'une voix stricte.

— J'ai terminé ma journée, répondit-il calmement.

Vous avez fait vite, dites-donc. Du Bourg Central à la Bourgade en si peu de temps... Vos journées finissent à quatre heures, si je ne me trompe, rappela-t-il en louchant sur le cadran solaire dominant les Arbusines depuis la Maisonnette. Vous avez mis cinq minutes. J'espère que vous n'avez pas eu recours à votre oiseau pour échapper aux bouchons. Nous en avons assez de payer vos amendes ici !

Une fois de plus, le Chef adoptait sa stratégie habituelle. Lorsqu'il ne surprenait pas Tyon en pleine bêtise, il fallait qu'il lui en rappelle une, et dans ce cas précis, il s'agissait des amendes qu'il écopait souvent. Pourtant, il voulait les régler lui même, mais la Charte de la Sociétale était bien claire en ce point : « La bourgade est responsable du sociétale qu'elle accueille ».

— Bien. Partez atteler votre espèce de pigeon de course... ( Hueirk ! )...Silence ! Siffla-t-il en défiant le moa du regard. Attelez-le et venez nous rejoindre. Nous avons besoin de bras pour déblayer les fientes de cette forêt répugnante. L'heure tourne, et cette chose se solidifie de plus en plus.

« Oh non ! » pensa Tyon. « Il ne manquait plus que ça... »

— Comment ? Vous n'avez pas l'air d'accord... Aviez vous quelque chose de prévu, comme aller rendre visite à ces poireaux humains ? Questionna le Chef, qui faisait allusion à ses voyages précédents dans la Forêt des Selves.

Dans le passé, le Chef l'avait souvent surpris à s'infiltrer dans la Forêt des Selves. Si au début il avait voulu le faire renvoyer des Arbusines, il avait très vite réalisé, qu'il lui serait plus rentable d'avoir cet élément perturbateur ici, afin de mieux lui inculquer l'autorité et la soumission.

— Non, non, je n'avais rien de prévu, se contenta de répondre Tyon, en resserrant ses mains sur les rênes de Hardie.

À la bonne heure. Filez et revenez ! Ordonna-t-il en retournant à ses occupations.

Tandis que le Chef s'en prenait à Tyon, les travailleurs en avaient profité pour s'accorder une pause. Depuis environ dix heures du matin, ils travaillaient sans relâche, sous les ordres de leur bourreau. Lorsqu'ils le virent se retourner, ils paniquèrent et reprirent immédiatement le boulot, terrifiés.

— Sois sage Hardie, dit Tyon en lui tapotant le bec, une fois qu'ils étaient rentrés. Je ne t'attache pas, mais ne fais pas de bêtises.

Debout, au milieu de la cour, Tyon examinait la Forêt qui se trouvait devant lui. Elle formait presque un anneau autour de la Maisonnette, et d'après ce qu'il avait entendu, celle-ci était la première construction humaine, à être bâtie en ces lieux. Sa forme élevée laissait penser qu'autrefois, elle servait de point d'observation.

L'accès le plus direct à la Forêt, aurait pu être de grimper à ces arbres qui se dressaient devant lui, mais malheureusement... il y avait un problème de poids qui rendait cette option impossible : la muraille était constituée d'arbres solidement tressés les uns aux autres par d'énormes racines aériennes, hérissées d'épines empoisonnées. Un mouvement maladroit et c'était l'agonie suivie d'une mort assurée. On racontait, aux Arbusines, qu'avant que Tyon n'emménage, un adolescent y avait laissé la vie. Le seul fait de penser à cela, noua douloureusement l'estomac de Tyon.

D'ordinaire, pour se rendre dans la forêt désenchantée, il empruntait une barque, près du Bois Arbusé, qu'il avait dissimulée à hauteur de ces gens qui étaient actuellement en train de déblayer. Mais aujourd'hui, les choses étaient un peu complexes...

— Je vais donc devoir faire appel à l'une de mes ruses de secours.. Chuchota-t-il en souriant malicieusement, tandis que Lunra flottait à ses côtés, amusé. Hardie... Approche.

Lorsque le Chef le vit revenir d'un pas traînard, il le fusilla du regard.

— Vous en avez mis du temps ! Gronda-t-il, en lui tendant un seau et une pelle. Tenez ! Pour être arrivé en retard, vous irez vous installer là-bas, plus au Nord, la boue y est généreuse. Amusez-vous bien !

Sans broncher, Tyon prit les objets, et s'éloigna. Comme dit précédemment, l'Allée des Arbuses était cernée d'un côté par un ruban d'arbres, qui faisaient encore partie de la Forêt des Selves. Et, à l'extrémité de celui-ci, du côté opposé de la Maisonnette, s'érigeait ce que l'on appelait le Bois Arbusé.

Ce dernier ne se transformait jamais en pierre. Il était aussi ombrageux qu'agréable, et il faisait bon d'y pique-niquer en Été. Il était sillonné par une rivière, où Tyon allait souvent pêcher. Et en plus des poissons et crustacés appétissants qu'elle abritait, elle se révélait être une entrée de choix : elle s'engouffrait dans un tunnel sombre, qui progressait sous le ruban d'arbres, et conduisait donc à... la Forêt des Selves.

Tyon s'était posé non loin de l'entrée du Bois Arbusé, face à la rivière. La boue avait dégouliné jusque là, et trois personnes, à quelques mètres de lui, suaient en la ramassant.

Il posa délicatement son seau à terre, s'équipa des gants qui s'y trouvaient, et s'arma de la pelle. En travaillant, il épiait la conversation des trois gens. Ils se plaignaient de ce phénomène, et disaient qu'il fallait trouver une solution à cela.

— Assez ! Je pense qu'on devrait écrire au gouvernant de la Province, avança l'un, qui ressemblait à une musaraigne.

— Quoi ? Le Viceroy Jarlighet ?... Tu crois qu'il a quelque chose à faire de cette forêt... ? Il la méprise, comme tant d'autres dans cette province, et jamais il ne ferait quelque chose en sa faveur. N'oublie pas que beaucoup de natales ont perdu des proches... là-bas... Rappela un autre, mince et long.

— De toute façon, ces Selves sont déjà bien assez maudits comme ça... Si vous voyez de quoi je parle, sous-entendit un autre, avec une tête de phacochère, avant qu'ils ne se mettent à ricaner.

Tyon s'était interrompu pour écouter leur flots de bêtises, et s'amusait de leur ignorance. Soudain, ils s'en rendirent compte.

— Hé petit ! Qui est-ce que tu regardes comme ça ? Grogna le phacochère.

Tyon sourit de malice, enrageant encore plus les brutes. Au moment où ils allaient s'approcher de lui...

— HUEIRK-HUEIRK-HUEIRK-HUEIRK-HUEIRK ! ! !

Des huerquements explosèrent dans l'Allée des Arbuses. Ils étaient si puissants qu'ils en glaçaient le sang. « Bien joué Hardie ! ! » acclamait intérieurement Tyon. Le moa dévalait l'allée à vive allure, zigzaguant comme un fou, huerquant jusqu'à s'époumoner.

— ATTRAPEZ-LE ! ! Aboya le Chef, au bord de l'apoplexie.


Mais personne n'osa s'approcher de cette flèche sans queue ni tête. Il les terrorisait tous. Et soudain, à l'issue d'une trentaine de secondes de tintamarre, Hardie s'arrêta. Personne ne comprit ce qui venait de se passer. Et les trois brutes comprirent encore moins comment, lorsqu'ils s'étaient retournés, le jeune garçon de tout à l'heure, s'était tout simplement... volatilisé.

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