lundi 27 mai 2013

La Sulfurine (partie 2)



Le natale et le selve progressaient maintenant dans la Forêt depuis une vingtaine de minutes. Muets, sourcils froncés, poings serrés, ils marchaient d'un pas prompt et ferme, vers ce lieu dont Palme avait parlé à Tyon, où poussait la trouvaille qu'il avait faite.

Ils s'étaient aventurés sur les frontières du Bois Gargantesque, dans lequel tout n'était que démesure. Les arbres atteignaient des tailles vertigineuses, leurs branches étaient aussi épaisses que des troncs, et ces derniers étaient aussi énormes qu'un regroupement de cinq autres troncs. Les lotus étaient bien plus volumineux ici, contenant des êtres gigantesques qui devaient être impitoyables avec les curieux dans leur genre. Mais heureusement, les féees ne les avaient pas encore réveillé.

Les feuillages massifs étouffaient la lumière du jour, ne laissant que quelques fins rayons lumineux s'infiltrer à travers, et éclairer négligemment l'endroit angoissant. Au cours de leur progression, Tyon avait remarqué une clairière vaste, au milieu de laquelle trônait la silhouette d'un arbre titanesque, au tronc étouffé par des racines hérissées d'épines. Il voulut demander à Palme de quoi il s'agissait, mais il renonça.

Puis les deux amis étaient arrivés à l'endroit où se trouvait l'arbre majestueux, sur lequel poussaient ces feuilles volantes.

— Qu'est...ce que... c'est... Hallucinait Tyon, qui en avait même perdu sa colère, en le contemplant. On dirait un haricot géant !

L'arbre était de couleur bleu ciel. Il était si haut, que l'on avait même l'impression qu'il se perdait dans les nuages. Les feuilles resplendissantes poussaient, superposées, le long de son tronc dépourvu de branches.


— C'est un Sulfurier, présenta Palme en caressant l'une des feuilles, qui se mit à onduler d'une façon rigolote. Ses feuilles s'appellent Sulfurines.

— Sulfurine... Répéta Tyon d'une voix chargée de fascination. C'est... c'est vivant... ?

— Oui.

— Et tu me l'as caché ? Continua Tyon, d'un ton sentant déjà le reproche.

— Non, je l'ai repéré juste avant l'hivernation, raconta Palme. D'habitude il est de couleur vert pomme, et ses feuilles n'ont pas le pouvoir de planer, mais regarde... Je crois que c'est dû à ça...

Tyon jeta un coup d'œil à l'endroit désigné du doigt par son ami. Il s'agissait du pied de la plante ; et il remarqua quelque chose d'étrange. De très... étrange...

Sur la base du Sulfurier, s'était formé un amoncellement de sable scintillant de couleur bleu ciel... Sa structure rappelait familièrement celle d'une fourmilière à dôme.

« Ce sable bleu... il est beau... » pensait Tyon, qui ne put s'empêcher de tendre ses doigts vers la chose.

— Non ! S'opposa Palme. Nous ne savons pas ce que c'est, vaut mieux pas...

Tyon haussa les épaules.

— Après tout, ce sont les feuilles qui nous intéressent.

— Oui, dit le jeune selve, avant de commencer sa leçon : « Bon, regarde bien ».

Palme cramponna la gaine d'une sulfurine et l'arracha d'un geste ferme, avant de la présenter à Tyon, qui remarqua que sur son revers, elle était recouverte d'un duvet épais. Celui-ci lui permettait de flotter. Puis, le jeune selve la pinça au niveau de la nervure médiane, la ramena derrière son épaule, et la lança devant lui.

La feuille vola tout droit, puis commença à se faufiler avec souplesse entre les arbres. Elle poursuivit dans sa lancée, avant de s'incliner légèrement, et d'entamer son retour vers Palme, qui la recueillit avec douceur dans ses mains. La sulfurine avait agi exactement comme un boomerang !

— Waahh ! Laissa échapper Tyon, en admiration. Mais comment elle...

— Tiens, essaye, encouragea Palme en la lui tendant.

Tyon imita son ami : il pressa la nervure principale, releva sa main jusqu'à hauteur de son épaule, et d'un geste sec mais puissant, il l'expédia devant lui.

— Oh ! Poussa-t-il en voyant, médusé, la feuille prendre de la vitesse, bâcler ses virages, tailler par-ci, par-là les troncs d'arbres d'encoches.

Et soudain au moment où elle revenait, il réalisa avec effroi qu'elle fonçait droit sur lui ! Palme eut tout juste le temps de le pousser et... SCHLAK ! !

Tyon était lourdement tombé au sol. Il se redressa péniblement, et quand il se retourna, il vit une scène effroyable : Palme était là, debout, les yeux dans le vague, la sulfurine plantée dans son torse.

— Oh non... Poussa Tyon en se relevant d'un bond, gagné peu à peu par la panique. Palme... Palme... ! !

Le selve tituba, et s'écroula sur le dos. Tyon se sentit tout à coup gagné par un mutisme total. Sa gorge s'était subitement asséchée, et ses mâchoires crispées. Il clignait frénétiquement des yeux, se croyant en plein cauchemar, jetant son regard épouvanté dans le bois gigantesque qui semblait se moquer éperdument de son sort.

Il fixait longuement Palme, terrifié, quand... il se souvint que les Selves ne pouvaient pas...

— BOUH ! ! S'écria Palme.

Tyon le repoussa, affolé, et son ami se releva en s'esclaffant.

— Tu aurais vu ta tête ! Palme, Palme ! Disait-il en imitant la voix affolée de Tyon. Je parie que tu avais aussi oublié que pour tuer un selve, il fallait remuer ciel et terre...

— ...Hahaha ! Andouille ! T'as failli m'avoir cette fois ! Fit Tyon avant de s'esclaffer à son tour, pendant que son ami arrachait sèchement la sulfurine, en riant. Ça prendra des jours avant que tu ne te régénères, non ?

— Je ne sais pas. Mais ça en valait la peine, répondit-il en haussant les épaules, alors que la sève coagulait déjà. Bon, passons maintenant à l'entraînement !

Lors des premiers essais, Tyon avait eu un mal fou à se familiariser avec sa sulfurine. Pourtant, la chose était bien simple : il suffisait de la lancer obliquement en modérant sa puissance, attendre qu'elle revienne à hauteur des mollets, et bondir dessus. C'était aussi simple que maîtriser une espèce de planche flottante. Mais pour Tyon, c'était plus facile à dire qu'à faire... À chaque tentative, soit son pied glissait lamentablement, soit il ne parvenait pas à garder l'équilibre.

— Alors ? Ça avance ? Plaisantait Palme, qui domptait déjà les airs et s'essayait même à quelques figures.

— Le jeune selve freina en cambrant sa sulfurine, et se tourna vers son ami. Ce dernier était à califourchon sur la sienne, perlant de sueur. Mais au moins, il parvenait maintenant à flotter.

 Pas mal. Si tu souhaites prendre de l'allure, il te suffit juste de prendre appui sur le sol et de te propulser en avant.

Tyon remua ses pieds dans le vide, jusqu'à atteindre le sol, et se catapulter.

— Grètt ! S'écria-t-il une fois dans les airs, ses doigts agrafés sur les bords épais de la sulfurine.

— Bien joué ! Félicitait Palme, pendant que son ami sillonnait les arbres qu'il évitait de justesse, avant de revenir vers lui.

— Bon... et si nous allions maintenant donner une petite leçon à ce Grine... ? Proposa-t-il avec malice.



Dans les différentes clairières de la Forêt des Selves, s'élevaient mille et cinq yeux verts, fascinés par deux garçons sur des feuilles volantes, vives comme l'éclair, qui serpentaient la cime des arbres. Mais ils étaient encore plus intrigués par le fait qu'ils portaient chacun dans les bras, un régime d'une dizaine de fruits, rond et gros comme des melons, qui n'allaient pas tarder à pleuvoir sur un petit groupe qui se promenait tranquillement.

— Ça va Ty ? ? Criait Palme, en se retournant sur son ami, qui grimaçait de terreur.

Trop effrayé pour répondre, il se contenta d'acquiescer. Le vent puissant lui fouettait le visage, et glaçait le crâne. Il n'osait même plus respirer, tant il était angoissé à l'idée de percuter ces troncs et branches qui semblaient se jeter sur lui, et que la sulfurine évitait habilement.

Palme, au contraire, était plus qu'à l'aise sur la sienne. Il semblait être le roi de la Forêt. Il s'autorisait même quelques acrobaties dangereuses, comme bondir en faisant tourbillonner sa feuille volante, dessiner des vagues, ou même se tenir en équilibre sur un pied. Voilà exactement qui était Palme. Dès leur première rencontre, Tyon s'était entendu avec lui. Il était turbulent, et possédait ce brin de folie, dans le sens où tout événement était l'occasion pour lui de faire des bêtises. D'ordinaire, Ixie était là pour canaliser son énergie débordante, mais aujourd'hui, elle était occupée à retrouver des forces dans son lotus de vie, et ne pouvait être que spectatrice de cette bataille qui allait commencer.

Palme avait fait signe à Tyon de se taire. Grine et ses quatre sbires, torses bombés, chevauchaient leurs moas selves, dévisageant ceux et celles qui étaient encore prisonniers de la terre. Il étaient loin de se douter du supplice qu'ils allaient vivre. Palme braqua son regard plein de colère sur eux, avant de donner le décompte à Tyon.

« Cinq... quatre... trois... deux... un... »

 FEU ! ! !

Les cinq voyous ne comprirent même pas ce qui leur arrivait. Ils essuyèrent une pluie de melons selves, qui se pulvérisaient contre eux avec fracas, affolant leurs moas, qui prirent leurs pattes à leurs cous. Grine et les autres eurent beau leur courir derrière, mais rien n'y fit : les oiseaux étaient bien plus rapides qu'eux.

Alors, ils cherchèrent à se réfugier derrière des troncs d'arbres, hurlant à mort, croyant que la Forêt avait éclaté de rage et avait décidé de se retourner contre eux. Mais cela ne satisfaisait pas Palme, bien au contraire. Il s'était mis à piquer en flèche sur eux et à les survoler avec vigueur, dessinant des cercles de mauvais augures au-dessus de leurs têtes, ne faisant qu'accentuer leur terreur.

Tyon riait tant, qu'il en perdait le souffle. Il voulut l'imiter, commençant à descendre, mais à ce moment les cinq voyous qui couraient dans tous les sens se rentrèrent dedans, rendant Palme hilare. Ce dernier se tordait de rire en voyant leurs visages se déformer d'effroi, et leurs yeux perler, prêts à déverser des larmes chaudes.

Mais son bonheur allait être de courte durée. Il ignorait que ce boucan avait attiré Céladon, qui avait débarqué juste au moment où Tyon, ne contrôlant pas sa descente, s'écrasait sur le rivage boueux de la Rivière Verte.

— Mais qu'est-ce qui se passe ici ?! Vociféra-t-il, en colère. Grine ! Palme !

Palme descendit et haussa les épaules. Et quand Tyon arriva, boueux de la tête aux pieds, les choses dégénérèrent.

— Toi encore.. J'aurai dû m'en douter, grommela Céladon avant de tonner : « À chaque fois que tu es dans le secteur, nous avons des ennuis ! Que viens-tu donc faire ici ?! Ne vois-tu pas que tu n'es pas le bienvenu chez nous ?! »

— Ce n'est pas de sa faute ! ! S'interposa Palme, furieux que l'on s'en prenne ainsi à son ami.
— 
Silence, insolent ! C'est à lui que je m'adresse ! Rugit Céladon, rejoint par ses acolytes, avant qu'il ne se tourne de nouveau vers Tyon et poursuive son réquisitoire incendiaire : « Regarde-toi donc...Tu n'es que le reflet de l'assassin qui nous a décimé et qui est responsable de... »

— Céladon. Ça suffit ! Somma-t-on.

Cèdre venait d'arriver. Mais il était trop tard, le mal avait déjà été fait. Tyon ne s'était jamais senti aussi mal de sa vie. Un nœud épais s'était formé dans sa gorge et ses yeux brillaient.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire