jeudi 24 janvier 2013

Chapitre I : Le garçon, le moa et le fé




La bourgade des Arbusines était très certainement l'une des plus connues à Natale. D'abord, parce ce qu'elle avait été bâtie à la frontière de la Forêt des Selves, ce qui avait pour conséquence directe que des choses parfois étranges s'y déroulaient ; ensuite, à cause de sa structure assez curieuse. Les maisons, toutes en bois, s'alignaient d'un côté, faisant face à un couloir d'arbres prolongeant la Forêt des Selves, qui s'étirait longuement avant de donner naissance, à son extrémité, à ce que l'on appelait le Bois Arbusé. Et entre les deux rangées, qui faisaient penser à deux lignes militaires, l'une contenant les hommes et l'autre les Selves, s'allongeait la voie unique de la Bourgade : l'Allée des Arbuses. D'ailleurs, nos cinq amis s'y trouvaient en ce moment, sur le chemin du Bourg Central.

Tyon portait, comme souvent, sa fidèle salopette d'un gris très sombre, et sa marinière à manches courtes, zébrée de noir et blanc.


Il y a un monde fou ! Constatait Émeryne, confortablement assise devant Tyon sur la monture, alors qu'elle scrutait les alentours. C'est à cause de la boue selve, qui inonde un bord de l'allée. Nous sommes obligés de nous resserrer de l'autre côté !

Émeryne était une fillette très curieuse pour son âge... Tyon s'en était rendu compte dès leur première rencontre, il y a deux saisons, peu après son arrivée à la Bourgade. Il avait été surpris de voir arriver un jour, une petite fille portant une plat recouvert d'une serviette à carreaux blancs et verts. Elle venait lui apporter des viennoiseries en guise de cadeau de bienvenue, et depuis ce jour, ils étaient devenus bons amis. Avec les autres enfants de son âge, Émeryne était très timide, et avait un mal fou à se mêler à eux, ce qui faisait qu'elle se retrouvait bien souvent seule et sans amis. Et malgré les encouragements fréquents de Tyon, elle ne parvenait pas à s'en faire, si bien qu'il était son seul et unique ami. Et cela semblait suffire à la petite fille.

À cause de sa petite taille, elle ne voyait rien d'autre qu'une foule constituée principalement de jeunes gens, ayant une moyenne d'âge de douze ans. Comme Tyon, beaucoup chevauchaient leurs moas, et escortaient des petits garçons ou des petites filles. D'autres étaient en train de recevoir leur baiser maternel sur le seuil de la porte, avant d'enfourcher leur oiseau et descendre la cour en pente menant à l'allée.

Ici, tout le monde ou presque se connaissait, et il n'était pas surprenant d'adresser encore et encore des signes de la tête aux autres.


Salut Ty !


Salut Dinah !


Salut !


Salut Nat !


Salut !


Salut George !

C'était ainsi, presque tout les matins ; et pas seulement dans la bourgade des Arbusines, mais aussi dans toutes les autres de la province de Natale. À ce spectacle qui finissait par se transformer en un concours de celui qui taperait dans le plus de mains, ou récolterait le plus de sourires de filles toutes rouges, il fallait aussi ajouter ce brouhaha collectif qui agaçait autant qu'il plaisait, ainsi que ce véritable arc-en-ciel de féees. Tous flottaient au-dessus de cette marée humaine, baignant les jeunes gens dans leurs lueurs chaleureuses.


@*#& !! Avance, limace ! Ordonna soudainement une voix colérique, derrière.

Tyon comme beaucoup d'autres se retourna, surpris, et aperçut un gamin à lunettes, rond comme un beignet ( tout comme le fé qui flottait à ses côtés ), accablé par le poids de son cartable ayant l'air de contenir une enclume. Le gamin était suivi d'un garçon châtain clair, au visage sévère, qui semblait vouloir foutre un coup de pied dans son gros derrière. Émeryne confia à voix basse à Tyon, que le petit se prénommait Hance, et qu'il était dans sa classe. Ce dernier sourit. Il le savait déjà.


@#*% !! Jura le châtain clair, qui s'attira une ribambelle de regards choqués et des murmures de mécontentement.


Laisse-le un peu tranquille ! Intervint soudain Tyon, à la plus grande surprise de tous.


Oui, limace gluante toi-même ! Renchérit Émeryne, déclenchant des rires.

Le garçon haussa ses sourcils en circonflexe, et chercha du regard l'imprudent qui avait osé interrompre son humiliation publique. Il repéra Tyon et le dévisagea.


Toujours à jouer les héros, balança-t-il, Nuage Blanc !

Le garçon s'approcha de Tyon et lui donna une tape amicale dans la main.


Qu'est-ce que le petit Hance a encore fait pour mériter un tel châtiment ? Questionna Tyon en jetant un coup d'œil sur le malheureux, qui mouillait ses yeux de larmes pour son sauveur.


Cette larve est lente et molle ! Aussi molle que son fé qui passe son temps à se goinfrer ! Grinça-t-il.


Il ne s'appelle pas goinfre mais Glouton D'Or ! Précisa Émeryne, délivrant Égluantine afin qu'elle aille jouer avec le fé dodu qui volait près de Hance en grignotant un noyau de cerise.

Sévère, froid, et pousseur de juron à tout va. Voilà ce qu'était, à première vue, Shinkei1. Si au début son comportement bien trempé avait fait de Tyon et lui des ennemis jurés des cours de récrés, ils avaient fini par se lier d'amitié. Car malgré les apparences, Shinkei avait un bon fond. Certains disaient de lui, que de toute façon, en arrivant au monde avec un nom pareil, on ne pouvait pas être gentil. À part son humeur toujours excellente et ses drôles de sourcils en circonflexe qui lui donnaient un air comique, Shinkei avait cette manie amusante de distribuer des surnoms à tout le monde.


Tu peux me dire ce que nous avons fait pour être condamnés à traîner derrière nous ces gosses chaque matin ? Râla-t-il, déclenchant un bourdonnement soutenu de râles, qu'il étouffa d'un regard assassin.


Parce que vous devez respecter la Sociétale ! Éclaira Émeryne.

Cela sembla agacer Shinkei.


Ah oui ? Et qu'est-ce que tu sais, toi, à propos de la Sociétale ?

Et Tyon, en bon élève, récita :


Pour faire simple, c'est un modèle de société propre à Natale, c'est pour cette raison qu'on l'appelle Sociétale. Il s'agit d'un système d'entraide commune, qui consiste à rendre acteur de la société chaque citoyen, des plus jeunes aux plus âgés. On entre véritablement dans la vie sociétale une saison après la fin de son cycle primaire, c'est pour cette raison que des jeunes gens, comme toi et moi par exemple, sommes chargés de parrainer une personne plus jeune. L'aider dans ses devoirs, l'accompagner à l'école, ou la ramener. Mais en plus, nous devons trouver, toujours à la fin du cycle primaire, un endroit où effectuer notre Sociétale en tant qu'assistants, durant cinq ans, soit dix saisons. Nous venons de commencer la deuxième, plus que huit ! Conclut-il avec gaieté.


Si tu étais comme ça en classe, tu serais tout le temps le premier, plaisanta une voix dans leur dos.


Zuckine ! S'exclama Émeryne, qui venait de se pencher sur le côté, avant d'être imitée par les autres.

Pavel Zuckine était, de tous les amis de Tyon, le plus effacé, mais aussi le plus curieux. Sa chevelure, d'un noir ébène, ondulée et impeccablement ramenée en arrière, ainsi que ces chemises assorties de gilets, et ces pantalons de toile qu'il portait, trahissaient son côté noble natale. Il avait le teint brun, le regard bienveillant, et son visage était toujours animé par une expression rêveuse. Tyon, Shinkei, et les autres garçons de leur bande, avaient fini par devenir amis avec ce prince charmant des cours de récrés, après une longue période de mise à l'écart justifiée par sa popularité éclipsante.

Lunra, Glouton d'Or, Bombou ( le fé de Shinkei ) et Égluantine, s'étaient empressés d'aller dire bonjour au fé de Zuckine, ou plutôt à ses féees... Car Zuckine faisait partie de ces rares personnes à Natale qui possédaient non pas une mais plusieurs féees...

Les siennes s'appelaient les Cassix, et de mémoire, Tyon n'avait jamais vu des féees sextuplées comme elles. Les Cassix étaient très amusantes, d'abord pour leurs petites querelles, ensuite pour leurs pouvoirs, qui étaient de multiplier les choses selon leur ordre de naissance. Par exemple, la sixième avait le don de sextupler, la cinquième de quintupler, le quatrième de quadrupler, la troisième de tripler, et le second, de dupliquer... Seul le premier avait un don différent : celui d'unifier.

Petits, la bande d'amis adorait leur faire appel afin de multiplier un gâteau ou une friandise et se régaler.


Tiens donc, le Bourgeois Volant, commenta Shinkei, lorsque Zuck les eut atteint. Qu'est-ce que ta prestigieuse sociétale et toi avez prévu de faire aujourd'hui ?

À travers sa remarque, Shinkei faisait référence au Vallègéoport de Natale, berceau de toutes les inventions provinciales, où Zuckine effectuait sa sociétale.


Nous allons enfin débuter le Projet Amélia, annonça-t-il calmement. Et cela nous prendra environ trois saisons.


C'est quoi le Projet Amélia ? Voulut savoir le petit Hance, qui suivait à présent Shinkei, les jambes traînant de fatigue.

Cette scène rappelait désagréablement quelque chose à Tyon, qui ne put s'empêcher de fusiller du regard son ami.


Silence, boulet ! Gronda Shinkei. Tu n'es pas autorisé à parler !


Méchant Shinkei ! Adressa Émeryne en lui tirant la langue.


Le Projet Amélia consiste à créer un modèle révolutionnaire de Vallèges... ( Hance le regarda d'un air confus ). Mais si tu souhaites savoir ce qu'est une Vallège... tu devras encore patienter quelques saisons ! Ajouta Zuckine en souriant, content de cultiver le mystère.


Moi aussi je ferai ma Sociétale au Vallègéoport ! Annonça Hance, résolu.


Mais tu vas te taire, oui ? Lança Shinkei.

Ils poursuivirent tranquillement leur chemin, tandis que leurs féees, Lunra, Égluantine, Bombou, Glouton D'Or, ainsi que les Cassix, discuteffladaient. Leur langage ressemblait plus à des sifflements mélodieux, qui, mêlés aux gazouillis pétillants des oiseaux, plongeaient la bourgade des Arbusines dans un concerto matinal agréable.

Lorsqu'ils eurent enfin atteint l'arc des Arbusines, ils se retrouvèrent face à l'immensité des prairies verdoyantes de Natale, où, au fil du Printemps, émergeraient des hautes herbes de jolies fleurs aux couleurs panachées.

À chaque fois qu'elle atteignait cet endroit avec Tyon, Émeryne ne pouvait s'empêcher de contempler avec émerveillement cette vaste étendue de verdure, où poussaient à l'horizon, de hautes palissades abritant les mystérieux peuples des prairies. Au loin, on distinguait des troupeaux de moas sauvages, fendre les collines et les bois à vive allure, suivis de leurs moasillons. Puis, Émeryne regardait les jeunes garçons et filles courber le torse sur leur monture, avant de céder à cet instinct presque sauvage, qui consistait à s'élancer à pleine vitesse dans l'océan végétal, pour se précipiter vers le Bourg Central qui trônait au milieu des prairies...


1La prononciation correcte est Chinn-Kè.

3 commentaires:

  1. Sympa l'histoire, je repasserai jeter un coup d'oeil
    Bon courage pour la suite !

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  2. Frais, original, beaucoup de potentiel !

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  3. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

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